(photo © Hélène Boudreau)
Quand la Bible s’éveille au cœur de la psychologie humaine
Jeannine Deshaies Roy | 9 janvier 2023
En accompagnement psychospirituel, c’est toujours la personne accompagnée qui, par un mouvement intérieur, induit un texte biblique dans son propre langage. C’est avec ce mouvement se transférant chez l’écoutant que celui-ci peut travailler. Mais cela implique et suppose une seule certitude de la part de ce dernier : celle de connaître à la fois la personne humaine en général ainsi que la personne qu’elle ou il accompagne à ce moment-là, dans son développement psychologique et spirituel. L’accompagnateur est à même de reconnaître tout au long de l’histoire de l’accompagné, la portion biblique qui s’y manifeste grâce à sa connaissance de différents textes bibliques.
Quand la Bible s’éveille au cœur de la personne
Dans l’écoute des personnes que j’accompagne, je reconnais souvent dans des mouvements de colère intense, d’abandon, de recherche de sens des portions de Psaumes, des paroles de Jésus ou des paraboles entières. Et là s’installe, à petits pas, la compassion, dans la mesure où l’on comprend que compatir c’est « souffrir avec » [1]. La compassion ne vient pas instantanément, elle implique une participation totale de tout mon être. Et là, je retrouve dans mon être, l’état de la personne qui souvent, pleure, se renie, souffre, se trouve chargée de colère ou d’angoisse. Submergée de douleur, l’accompagné n’arrive plus à se comprendre lui-même. Et là, le « prendre soin » devient ma première vocation. Être juste là avec l’accompagné, au cœur de sa souffrance, avec ses façons personnelles de se dire et de se raconter dans sa blessure d’exclusion, d’abandon, de non-reconnaissance permet une résonnance biblique au sein de ce tandem intérieur accompagné/accompagnateur.
« Si on ne se concentre pas uniquement sur le changement à opérer, mais qu’on entre avec l’autre dans sa faiblesse, de nouvelles possibilités apparaissent… Les gens seront transformés, simplement parce qu’ils auront fait l’expérience de la compassion, parce que quelqu’un aura pris soin d’eux d’une manière très profonde [2]. »
Alors, oui, quand la Parole s’éveille au cœur de la personne, et qu’elle peut rencontrer un élément de compassion humaine autour d’elle, l’Esprit de Dieu se manifeste et c’est Lui seul qui guide le travail, l’image, la phrase de communion qui existe entre l’écouté et l’écoutant pour le faire avancer d’un pas vers sa propre croissance intérieure.
Mais où est rendue cette personne dans son développement personnel?
Comment entrer dans ce mystère humain créé en équilibre et qui se décompose en « Je », « Moi », « Soi », « Égo » et qui perd cet équilibre à mesure que l’Égo veut tout « bien gérer » pour ne pas dire contrôler? C’est le cœur de la psychologie humaine qui s’adresse à moi. Dans son désarroi et son mal-être, son mal-à-l’âme, la personne n’entend plus ses propres signaux corporels de mal-être. Alors, le corps et le « Je » crient au secours.
Comment accueillir cette personne dans sa détresse?
Il n’est pas question ici de guérison mais bien d’accompagnement, de relation d’aide sur les plans bio-psycho-spirituels. Par où commencer? Dès les premières phrases, si j’écoute bien, j’entends la détresse, le mal-être. Je tente de saisir ce qui se joue en cet instant. Tout est relié : corps-esprit-âme dans une détresse qui conduit à la colère parce que plus rien ne va comme la personne l’entend. Ses mécanismes de défense ne répondent plus. Car « la colère de l’homme, ne réalise pas la justice de Dieu [3] ». Il est bon ici de comprendre comment la « colère de l’homme » est directement reliée à un mal d’amour, à un mal de se sentir aimé. Et saint Jacques nous dit :
« Sachez mes frères et sœurs aimés, que tout homme soit prompt à écouter, lent à parler, lent à la colère. Car la colère de l’homme n’accomplit pas la justice de Dieu. C’est pourquoi vous débarrassant, de toute saleté, de tout accès de méchanceté, accueillez avec douceur, la parole plantée en vous, celle qui peut sauver vos âmes. Devenez artisans de la parole, pas seulement auditeurs qui s’illusionnent eux-mêmes [4]. »
Voici un exemple pour illustrer ce processus. Une personne qui vient de perdre un être cher se présente chez moi. Tout au long de l’accompagnement, j’arrive à cibler dans le deuil, une relation fusionnelle qui s’était déclarée seulement au moment de l’accompagnement qu’elle avait vécu avec son ami en fin de vie. Elle portait en elle les marques invisibles de la même douleur vécue par la personne aimée. Comme elle ne cessait de porter sa main droite sur son abdomen, alertée par ce geste, je me suis permise de le souligner pour qu’elle en prenne conscience. À partir du moment où cette personne est devenue consciente de ce geste de douleur, on a pu avancer dans le travail du deuil. Elle a pu se débarrasser de ce qui ne lui appartenait pas et accueillir tout l’héritage spirituel que ce défunt lui avait apporté. Cette douceur reçue fut bénéfique. Et la parole biblique gravée au fond de cet accompagné était : « Tu comptes pour moi, tu as du prix à mes yeux et je t’aime [5] ».
Maintenant comment l’accueillir dans sa spiritualité et l’aider à grandir
Cette blessure d’amour dans le deuil touche la personne dans tout son être. De spiritualité bouddhiste, elle recherchait à mieux comprendre son état de deuil qui l’empêchait de bien travailler, de prendre soin de ses filles. Elle n’avait plus la joie de vivre que tous lui reconnaissaient. C’est au moment du travail sur le deuil qu’elle a exprimé ses douleurs et ses pertes toutes reliées à la « peur de mourir ». Elle a pu vivre de façon symbolique le mal-être, le mal de l’âme vidée de son objet d’amour, de sa raison de vivre et sortir de cette impasse toujours de manière symbolique. C’est seulement après ce travail de deuil complété que la personne a pu s’avouer à elle-même la qualité relationnelle de cet ami proche au point de verbaliser : « Je l’aimais tel qu’il était dans sa vérité. Cette personne comptait beaucoup pour moi. »
La répétition de la phrase d’Isaïe après que la personne ait pu verbaliser son amour et son amitié pour la personne disparue, a eu l’effet de replacer au bon endroit ce qui semblait être vrai pour elle dans sa relation à l’Autre (ce Dieu Tout-Autre qu’elle estimait connaître) dans l’autre, son meilleur ami assez proche pour se dire en toute vérité.
Conclusion
Oui, la Parole de Dieu fait grandir. Mais je ne peux l’imposer à qui que ce soit. Elle est déjà inscrite au cœur de chaque être humain. C’est pourquoi une Parole ajustée a le pouvoir de guérir la blessure et de faire grandir la personne dans sa relation personnelle à Dieu. Peu importe le nom qu’elle donne à Dieu qu’elle cherche, Il saura bien se faire entendre et où la trouver, c’est à dire au cœur d’elle-même.
Jeanine Deshaies Roy (M.A) est spécialisée en counseling individuel. Elle est intervenante psychospirituelle et accompagnatrice à l’ACRB.
[1] Henri Nowen, La compassion, Fidélité (Brèves rencontres), 2002.
[2] Idem.
[3]
1 Jc 1,20 traduction de la TOB
[4]
Jc 1,19-22. Traduction Louise Bisson, 2007
[5]
Is 43,4 traduction de la TOB