Zacharie et l’ange Gabriel. James Tissot, 1886-1894. Aquarelle opaque et graphite, 23,8 x 13,3 cm. Brooklyn Museum, New York.
Zacharie est réduit au silence
Sylvain Campeau | 21 décembre 2020
Mais voici que tu seras réduit au silence et, jusqu’au jour où cela se réalisera, tu ne pourras plus parler, parce que tu n’as pas cru à mes paroles ; celles-ci s’accompliront en leur temps. (Luc 1,20)
Dans le récit de l’annonce de la naissance de Jean le Baptiste (Luc 1,5-25), on peut lire cette réponse de l’ange Gabriel à Zacharie qui est formulée comme une sanction. Dans ce long récit, un seul verset rapporte les paroles du prêtre : « Comment vais-je savoir que cela arrivera ? Moi, en effet, je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge. » (1,18) Gabriel les interprète comme un manque de foi. Pourtant, au début du récit, le prêtre est présenté comme étant « juste » et « irréprochable » (1,6). Quel est la fonction du mutisme temporaire de Zacharie dans le récit?
Un genre littéraire connu
Pour mieux comprendre ce verset, il est utile de le replacer dans son contexte immédiat : l’annonciation de la naissance de Jean le Baptiste (1,5-25), suivie de celle de Jésus (1,26-38) et de l’annonce faite aux bergers (2,8-20). Pour les premiers destinataires de l’évangile, ces récits sont construits selon un genre littéraire connu. On retrouve quelques récits d’annonciation dans l’Ancien Testament : Genèse 16 (Ismaël), Genèse 17-18 (Isaac) et Juges 13 (Samson). Tous ces récits annoncent la naissance d’un enfant et partagent une structure commune qu’on peut schématiser ainsi :
- Apparition de l’Ange du Seigneur
- Crainte du visionnaire confronté à une présence surnaturelle
- Transmission d’un message divin
- Objection du visionnaire
- Don d’un signe pour rassurer le visionnaire [1]
L’objection est l’un des éléments de ce type de récit. Dans le premier récit d’annonce de Luc, on remarque que l’objection de Zacharie – un prêtre qui connaissait l’histoire d’Abraham et de Sara et qui devait savoir que rien n’est impossible à Dieu – est qualifiée par Gabriel comme un manque de foi : « … tu ne pourras plus parler, parce que tu n’as pas cru à mes paroles » (1,20). Par contre, l’objection de Marie (1,34) ne suscite aucun reproche et elle a droit à une toute autre appréciation quand elle rencontre Élisabeth : « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » (1,45) En présentant ces deux figures au début de son évangile, Luc semble vouloir orienter la réponse de son auditoire : aux doutes de Zacharie, il oppose la foi de Marie. Le choix semble clair : Marie est le modèle à suivre.
Le mutisme de Zacharie
Selon la structure présentée plus haut, l’objection est suivie d’un « signe ». Pour Marie, c’est Élisabeth qui est enceinte alors qu’on la disait stérile (1,36). Pour les bergers, le signe est « un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (2,12). Le mutisme de Zacharie peut être compris comme le signe du récit [2]. Il devra garder le silence pendant toute la grossesse d’Élisabeth.
Comme l’affirme saint Paul, la foi naît de l’écoute de la Parole (voir Romains 10,17). On peut donc voir dans la réponse de l’ange un certain humour : il faut parfois se taire et « méditer dans son cœur » comme Marie (voir 2,19) pour comprendre comment Dieu fait irruption dans nos vies et réalise ses promesses. La suite du récit démontre que Zacharie semble avoir profité de son isolement comme en témoigne le cantique qu’il prononce lorsqu’il retrouve l’usage de la parole (1,67-80). Ce cantique ne répond pas à la question du « comment » de l’objection du prêtre mais du « pourquoi » de la naissance de son fils Jean. On le comprend : Zacharie a cheminé pendant ce temps d’attente et le silence y a certainement joué un rôle dont il a tiré profit.
Diplômé en études bibliques (Université de Montréal), Sylvain Campeau est responsable de la rédaction.
[1] Cette structure vient de Raymond E. Brown, The Birth of the Messiah, Garden City, Doubleday, 1977, p. 156.
[2] Le mutisme de Zacharie est une occasion pour l’évangéliste d’introduire un autre contraste dans son récit : au mutisme du père il oppose, plus loin, la « voix » du fils qui crie dans le désert (voir 3,4).