(photo : ocusfocus / 123RF)
Que les femmes se taisent!
Sébastien Doane | 24 septembre 2018
On accuse souvent Paul d’être misogyne. En effet, certains passages de ses lettres sont loin de promouvoir l’égalité des sexes. Voici l’un de ces extraits qui se trouve au milieu d’indications de Paul sur la bonne façon de faire assemblée.
34Comme cela se fait dans toutes les Églises des saints, que les femmes se taisent dans les assemblées : elles n’ont pas la permission de parler; elles doivent rester soumises, comme dit aussi la Loi. 35 Si elles désirent s’instruire sur quelque détail, qu’elles interrogent leur mari à la maison. Il n’est pas convenable qu’une femme parle dans les assemblées. (1 Corinthiens 14,34-35)
Paul, misogyne?
La plupart d’entre nous éprouvent un profond malaise à la lecture de ces versets. Il est bien difficile de concilier ce passage avec l’égalité entre les hommes et les femmes, un principe si important dans notre société. Il serait facile de discréditer ce passage s’il n’était pas écrit par Paul. Pourtant, l’attribution de la Première lettre aux Corinthiens à Paul n’est pas remise en question par les exégètes. Au mieux, pour sauver Paul du qualificatif de misogyne, il faut se rappeler le contexte social de son époque. C’est la culture dans laquelle il vit et écrit qui est misogyne. Il était mal vu, à l’époque, qu’une femme prenne la parole en public.
La parole des femmes en assemblée
Un lecteur ou une lectrice, heurté par ce passage, pourrait prendre une posture plus critique devant ce texte. D’abord, il pourrait commencer par remettre en question l’affirmation que toutes les Églises ont la pratique d’interdire la prise de parole des femmes. D’une part, si aucune femme ne prenait la parole, lors des assemblées, la question ne se poserait pas. Le fait que Paul dénonce la prise de parole des femmes indique que cette pratique existait. D’autre part, dans cette même lettre, au chapitre 11, verset 5, Paul mentionne des femmes qui prient ou prophétisent. À ce moment de la lettre, il insiste sur le fait qu’elles doivent porter le voile sur la tête lorsqu’elles prennent la parole en assemblée. (Eh oui, le port du voile fait aussi partie de la tradition chrétienne!) Toute une contradiction!
Interpréter la Bible pour faire taire
Pour appuyer son interdiction, Paul en appelle à la Loi. Mais il est difficile de comprendre à quelle Loi ou à quelle partie de la Torah (Loi) il se réfère, puisque le silence des femmes en assemblée n’est jamais mentionné dans l’Ancien Testament. Ou, du moins, jamais explicitement mentionné, car la lettre à Timothée oriente bel et bien vers un récit biblique pour justifier le silence des femmes en assemblée :
9 Quant aux femmes, qu’elles aient une tenue décente, qu’elles se parent avec pudeur et modestie : ni tresses ni bijoux d’or ou perles ou toilettes somptueuses, 10 mais qu’elles se parent au contraire de bonnes œuvres, comme il convient à des femmes qui font profession de piété.
11 Pendant l’instruction la femme doit garder le silence, en toute soumission. 12 Je ne permets pas à la femme d’enseigner ni de dominer l’homme. Qu’elle se tienne donc en silence. 13 C’est Adam, en effet, qui fut formé le premier. Ève ensuite. 14 Et ce n’est pas Adam qui fut séduit, mais c’est la femme qui, séduite, tomba dans la transgression. 15 Cependant elle sera sauvée par sa maternité, à condition de persévérer dans la foi, l’amour et la sainteté, avec modestie. (1 Timothée 2,9-15)
Je ne sais pas si cette interprétation du chapitre 3 du livre de la Genèse vous plaît, mais moi, je trouve qu’il lui fait dire des choses qui dépassent ses intentions. D’ailleurs, cet extrait de la Lettre à Timothée est encore plus problématique quand il insinue que le salut des femmes est conditionnel à leur maternité ainsi qu’à leur persévérance dans les vertus de foi, d’amour, de sainteté et de modestie. Du haut de notre perspective contemporaine, on peut légitimement trouver que ce passage octroie un rôle incroyablement réducteur aux femmes. Il nous aide sans doute à comprendre sur quel passage de la Loi (Torah) Paul s’appuie pour interdire la parole aux femmes, mais il ne nous aide pas à lui donner une image moins sexiste.
La dernière partie du passage de la lettre aux Corinthiens concède aux femmes le droit de poser des questions à leur mari, pourvu que ce soit fait en privé, à la maison. C’est l’homme qui doit instruire la femme. Cette vision révèle encore une fois les présupposés patriarcaux de la culture dans laquelle a été écrite cette lettre. Les femmes ne pouvaient pas instruire les autres en assemblée, mais elles gardaient le droit de poser des questions à leur mari. Cette permission est sexiste, mais au moins, elle donne un certain droit de parole aux femmes, même si celui-ci est très limité. Espérons qu’elles ont posé le plus de questions possible, pour remettre en cause le système androcentrique!
Femmes et ministères
Y a-t-il un lien entre le combat de Paul pour faire taire les femmes en assemblée et le fait que l’Église catholique ne permette pas aux femmes d’être ordonnées encore aujourd’hui? Bien des choses se sont passées en deux mille ans et, pourtant, certaines choses ne changent pas.
Il y a un rapport paradoxal entre l’Église et les femmes. D’une part, elles sont largement majoritaires dans les domaines du bénévolat en Église, de la catéchèse et de la pastorale. D’ailleurs, la majorité des mandats pastoraux donnés par les évêques le sont à des femmes. Aujourd’hui, elles peuvent s’investir dans tous les champs de la pastorale et elles occupent même des postes de collaboratrices d’évêques. L’Église catholique ne pourrait être présente dans la société – hôpitaux, aumôneries, armée, prisons, etc. – s’il n’y avait pas toutes ces femmes sur le terrain. Et pourtant, lors des liturgies, officiellement, elles n’ont pas le droit de commenter les Écritures. Notre culture catholique actuelle est peut-être plus proche de celle du temps de Paul que nous aimerions l’admettre…
D’autres Églises font des choix différents. Par exemple, le 17 décembre 2014, une première femme a été ordonnée évêque dans l’Église anglicane. Dans cette Église, les femmes représentent environ le tiers du clergé. À ce sujet, je veux partager avec vous une expérience vécue. Un jour, je marchais dans la rue avec un groupe d’adolescents qui voulait rencontrer et aider les personnes itinérantes de Montréal. Nous nous sommes arrêtés devant la cathédrale anglicane Christ Church, devant laquelle étaient assises des personnes qui semblaient démunies. Au fil de la discussion, elles nous ont appris qu’elles dormaient sous le portique de l’église. Fières de nous présenter leur « demeure », elles nous ont invités à entrer. En entrant, mes élèves ont d’abord vu le drapeau de la fierté gaie, installé pour montrer l’acceptation de toute personne, peu importe son orientation sexuelle. Puis notre regard s’est porté sur la chapelle latérale où la messe était présidée par une femme prêtre. Mes élèves n’en revenaient pas. L’un d’entre eux s’est exclamé : « Qu’est-ce que cette Église qui accueille des itinérants, des gais et qui a des femmes prêtres? » Cette expérience d’une Église si inclusive contrastait vraiment avec l’image qu’ils avaient de l’Église catholique…
Sébastien Doane est professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval (Québec).
Extrait de : Sébastien Doane, Zombies, licornes, cannibales… Les récits insolites de la Bible, Montréal, Novalis, 2015.