L’Esprit Saint. Corrado Giaquinto, 1850. Huile sur toile, 62 x 48 cm. Collection privée (Wikimedia).
2. L’Esprit Saint, force motrice de l’œuvre de Luc
Odette Mainville | 10 janvier 2022
Découvrir Luc : une série d’articles où Odette Mainville examine l’œuvre de Luc (évangile et Actes) pour en présenter les grands thèmes. Dans ce texte, elle présente le rôle important accordé à l’Esprit Saint dans l’œuvre de Luc.
L’Esprit Saint joue un rôle majeur dans l’œuvre de Luc. Il est force motrice autant dans le troisième évangile que dans le livre des Actes des Apôtres. D’emblée, il convient alors de préciser la nature de cette force qui animera le personnage Jésus tout au long de sa mission terrestre et qui sera ensuite responsable de la naissance et de l’expansion de la communauté primitive.
Le vocable ‘esprit’ est dérivé du latin ‘spiritus’, lequel traduit le grec ‘pneuma’ ou l’hébreu ‘ruah’, désignant, dans ces trois langues, le souffle, le vent, l’air en mouvement. Dans la période vétérotestamentaire, on fera référence au souffle de Dieu en termes de « Souffle Saint », désignant ainsi sa puissance créatrice et sa force d’action dans le monde. Pour sa part, Luc, au fil de son œuvre, associera régulièrement les vocables « puissance » et « Souffle Saint [1] », les utilisant même de façon synonymique [2].
Avant la naissance de Jésus
Luc bâtit les deux premiers chapitres de son Évangile en établissant un parallélisme entre les événements précédant la naissance de Jean, le Baptiste, et celle de Jésus, tout en prenant soin de marquer d’une note positive la supériorité de Jésus par rapport à Jean. Dans le cas de Jean, il est dit qu’il sera rempli du Souffle Saint dès le sein de sa mère (Lc 1,15), une façon d’assurer que toutes ses paroles prononcées au sujet de Jésus porteront la garantie du sceau du Souffle de Dieu. En ce qui concerne Jésus, alors que Marie évoque sa virginité quand l’ange Gabriel lui annonce qu’elle va concevoir un fils, celui-ci la rassure en lui disant : Le Souffle Saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu (Lc 1,35).
On remarquera, ici, qu’à une question d’ordre biologique l’ange donne une réponse d’ordre théologique. En effet, dans la Bible, les expressions « venir sur [3] » et « couvrir de son ombre [4] » font référence à la protection accordée par Dieu et à la puissance infusée par Dieu aux personnages agissant en son nom. Ainsi le Souffle Saint couvrira Marie de son ombre de sorte que l’enfant qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu, c’est-à-dire qu’il sera le Fils par excellence, celui dont le témoignage sur Dieu sera sans failles. L’intervention du Souffle Saint au moment de l’Annonce à Marie n’a donc pas à voir avec l’engendrement, comme c’est le cas en Matthieu, mais vise plutôt à attester de l’authenticité intégrale de la mission qu’accomplira l’enfant auquel elle donnera naissance.
Notons encore la reconnaissance par Jean, dès le sein de sa mère, de la supériorité de Jésus. C’est ainsi qu’il faut comprendre le fait qu’il ait bondi en elle au moment de la visite de Marie. Le cri d’Élisabeth, sous la poussée du Souffle Saint, appuie cette lecture : Comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur? (Lc 1,43) De même, Zacharie, le père de Jean, encore sous l’inspiration du Souffle Saint, proclamera dans un psaume prophétique (voir Lc 1,67-79) le rôle salvifique attribué à Jésus dans la foulée de l’histoire d’Israël [5], tout en reconnaissant à son fils, Jean, le rôle du prophète chargé de préparer la venue de Jésus [6]. Et enfin, toujours sous la poussée du Souffle Saint, le vieillard Syméon se rend au Temple et, accueillant l’enfant Jésus, il reconnait en lui le Sauveur attendu : Maintenant, Maitre, c’est en paix… que tu renvoies ton serviteur, car mes yeux ont vu le salut [7].
On remarque donc cette précaution insistante de Luc de placer sous l’égide du Souffle Saint chacun des témoignages des personnes prophétisant au sujet de la naissance de Jésus.
De la naissance de Jésus à l’inauguration de sa mission
Luc établit un nouveau parallèle entre le baptême qui sera administré par Jean et celui qui sera administré au nom de Jésus. Voici les paroles que l’évangéliste met dans la bouche du Baptiste : Moi, je vous baptise d’eau ; mais celui qui vient est plus fort que moi (…) Lui, il vous baptisera dans le Souffle Saint et le feu (Lc 3,16 ; voir Ac 11,16).
On comprendra que l’annonce de ce baptême dans le Souffle Saint et le feu anticipe l’événement de la Pentecôte, alors que le local où seront rassemblés les disciples sera secoué par un violent coup de vent, pendant que des langues de feu se poseront sur chacun d’eux (Ac 2,1-4). Ils seront en conséquence tous remplis du Souffle Saint et (se mettront alors) à parler d’autres langues comme le Souffle leur (donnera) de s’exprimer (Ac 2,4).
Le vent symbolise la puissance qui, dès lors, animera la prédication chrétienne, alors que le feu peut signifier la purification opérée par le Souffle Saint en ceux qui porteront le message, ce qui en garantit l’authenticité, mais peut aussi désigner la ferveur et la fougue des messagers.
Contrairement à Marc et Matthieu, Luc ne décrit pas la scène du baptême de Jésus, mais il l’évoque tout simplement en disant qu’au moment de son baptême, le ciel s’est ouvert et le Souffle Saint est descendu sur lui sous l’apparence d’une colombe, alors qu’une voix venue du ciel l’introduisait dans sa mission : Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, il m’a plu de te choisir (Lc 3,22).
Consécutivement à son baptême, Luc précisera que Jésus, rempli du Souffle Saint, revint du Jourdain et (qu’il) était dans le désert, conduit par le Souffle (Lc 4,1). Puis après avoir vaincu Satan au désert, Jésus revint en Galilée avec la puissance du Souffle (Lc 4,14). Quand Jésus débute sa mission à la synagogue de Nazareth (Lc 4,16-28), il lit l’extrait du livre d’Isaïe où il est dit que le Souffle Saint est sur le prophète afin qu’il annonce la bonne nouvelle aux pauvres, libère les captifs et les opprimés et rende la vue aux aveugles (Is 61,1). Après avoir lu ce passage, Jésus affirme que la prophétie d’Isaïe est accomplie, signifiant ainsi qu’elle l’est à travers sa personne. C’est d’ailleurs à titre de prophète, rappelons-le, que le Jésus de Luc exerce sa mission terrestre.
Ainsi donc, le Souffle Saint sera la puissance initiale qui animera Jésus tout au long de sa mission. Par contre, contrairement à ce que l’on retrouve dans les Actes des Apôtres, alors qu’il est la force motrice omniprésente depuis la naissance de la communauté chrétienne à Jérusalem jusqu’à son expansion à Rome, son rôle devient plus discret au cours de la mission de Jésus. Comme si Luc avait voulu respecter l’autonomie de Jésus acquise une fois pour toutes au baptême. En effet, il ne sera encore fait mention du Souffle Saint qu’une seule autre fois en lien avec son parcours missionnaire, ce au moment où il s’adressait aux disciples revenus de la mission à laquelle il les avait envoyés : À l’instant même, il exulta sous l’action de l’Esprit Saint et dit : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout petits » (Lc 10,21).
Les autres mentions du Souffle Saint dans le troisième Évangile sont en fonction de la vocation future des disciples. Ainsi, Jésus annonce que le fruit de la prière sera le don du Souffle Saint par le Père (Lc 11,13), soit la force et la lumière nécessaires pour une vie selon la volonté de Dieu. Mais il garantit également que le Souffle Saint se fera leur défenseur quand ils seront accusés par les autorités juives : Le Souffle Saint vous enseignera à l’heure même ce qu’il faut dire (Lc 12,12). Ce qui se confirme, d’ailleurs, lors que Pierre doit comparaitre devant le Sanhédrin, lors de son emprisonnement pour avoir prêché la résurrection de Jésus. Quand on demande à Pierre à quelle puissance il a recouru pour guérir un infirme, c’est rempli du Souffle Saint (que) Pierre leur dit … (voir Ac 4,8).
Il importe finalement de faire état de cette dernière mention du Souffle Saint en Luc, celle relative à ce fameux péché dit ‘impardonnable’ : Qui aura blasphémé contre le Souffle Saint, cela ne lui sera pas pardonné (Lc 12,10). Pourtant, la nature de ce péché qui a tant intrigué et donné libre cours à tant de spéculations, trouve explication en Ac 4,16-17, où il est question de mauvaise foi, de résistance face à l’évidence :
Que ferons-nous de ces hommes (Pierre et Jean), se disaient-ils (les membres du Sanhédrin)? Car un signe évident est bien arrivé par eux. Cela est manifeste pour toute la population de Jérusalem et nous ne pouvons pas le nier. Mais pour que cela ne se répande davantage parmi le peuple, menaçons-les afin qu’ils ne mentionnent plus ce nom (celui de Jésus, Christ) devant qui que ce soit.
Conclusion
Des quatre évangélistes, Luc est donc celui qui a davantage développé le thème du Souffle Saint. Il importe cependant de rappeler que si, dans son double ouvrage, cette force est personnifiée, elle n’est pas pour autant personnalisée. Elle ne le sera qu’au terme du Concile de Constantinople, en 381, quand elle sera intégrée à la formule trinitaire.
Odette Mainville est auteure et professeure honoraire de l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal.
[1] Voir Lc 1,35; 4,14; Ac 1,8.
[2]
Comparer Lc 24,49 et Ac 1,8.
[3]
Voir Is 32,15 ; Nb 5,14; Jb 1,19.
[4]
Voir Is 40,35 ; Nb 10,34.
[5]
Lc 1,68-75.
[6]
Lc 1,76-77.
[7]
Lc 2,25-33. À noter l’insistance particulière de Luc sur le rôle du Souffle Saint auprès du vieillard Syméon afin de marquer l’authenticité de son témoignage : …le Souffle Saint était sur lui. Il lui avait été révélé par le Souffle Saint qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ du Seigneur. Il vint alors au Temple poussé par le Souffle (vv. 25-27).