Jean le Baptiste et Hérode Antipas. Pieter de Grebber, circa 1640. Huile sur toile, 115 x 148 cm. Palais des Beaux-Arts, Lille. (photo : artbible.info)
Jean le Baptiste et Hérode Antipas
Sylvain Campeau | 18 juin 2018
Au début du premier siècle de notre ère, le long silence des prophètes est interrompu par Jean le Baptiste qui surgit dans le désert, à proximité du Jourdain. Mais, selon les évangiles synoptiques, son activité cesse rapidement après le baptême de Jésus : « Ayant appris que Jean avait été livré, Jésus se retira en Galilée. » (Mt 4,12 et Mc 1,14) D’après les sources dont on dispose [1], que savons-nous des raisons de cette mise à l’écart et de l’exécution du Baptiste?
Un homme contrarié
Selon l’évangéliste Luc, dont les récits sont très sobres sur le sujet, c’est Hérode Antipas qui a pris l’initiative de l’arrestation et de la mort du Baptiste (Lc 3,19-20 et 9,9). Les raisons sont évoquées rapidement dans un verset qui ressemble à une attaque personnelle du prophète : « Il blâmait [Hérode] à cause d’Hérodiade, la femme de son frère, et de tous les forfaits qu’il avait commis. » (3,19) Jean aurait donc été condamné par un homme qui n’avait pas apprécié les reproches que le prophète lui avait adressés.
Une femme rusée
Les évangiles de Matthieu et de Marc s’entendent pour attribuer l’arrestation du prophète et son exécution à Hériodiade, la femme d’Hérode Antipas : « En effet, Hérode avait fait arrêter Jean et l’avait enchaîné en prison à cause d’Hérodiade, la femme de son frère Philippe qu’il avait épousée. Car Jean disait à Hérode : ‘Il ne t’est pas permis de garder la femme de ton frère.’ » (Mc 6,17-18 repris par Mt 14,3-4) Comme Hérode hésitait à faire exécuter le prophète par crainte d’un soulèvement (Mt 14,5), sa femme utilisa la ruse pour arriver à ses fins. Avec la complicité de sa fille Salomé, elle demanda la tête du Baptiste, un récit bien connu des évangiles (Mc 6,21-29 ou Mt 14,6-12). Jean aurait donc été exécuté à cause d’une femme en colère contre les reproches du prophète sur son union conjugale avec le tétrarque [2].
Hérodiade était engagée dans une union jugée illégale et adultère. Elle avait quitté Philippe (fils d’Hérode le Grand) pour épouser Hérode Antipas, le demi-frère de son premier mari. Or la Loi juive condamnait une telle union (voir Lv 20,21 et 18,16). Ce que nos évangiles ne disent pas, c’est que le tétrarque Hérode était aussi marié avant son union avec Hérodiade : il a répudié son épouse Phasaélis qui était la fille du roi nabatéen Arétas IV. Cette information nous vient d’une autre source, les Antiquités juives, un texte rédigé à la fin du premier siècle par l’historien Flavius Josèphe [3].
Un prophète jugé dangereux
Au livre XVI de son œuvre, Josèphe parle de Jean le Baptiste de manière élogieuse : « Celui-ci était, en effet, un homme de bien qu’Hérode avait fait mettre à mort » par crainte d’une « révolte » provoquée par sa prédication. On peut donc comprendre que la prédication du Baptiste et le geste de retournement complet qu’il proposait (le baptême) avaient des connotations qui débordaient la sphère du religieux au point d’inquiéter les pouvoirs en place.
Selon l’historien juif, l’initiative de l’exécution du Baptiste revient à Hérode et, selon une interprétation populaire au sein de la population juive, ce geste a été sévèrement sanctionné par Dieu : l’armée d’Hérode a été taillée en pièces par celle d’Arétas à la suite d’un conflit frontalier. « Les juifs furent d’avis que c’était pour le [Jean le Baptiste] venger que l’armée avait été condamnée à la destruction : Dieu avait voulu frapper Hérode. » (Antiquités juives XVI,119)
Si les raisons de l’exécution du Baptiste ne sont pas énoncées clairement dans nos sources, une chose est certaine : Hérode Antipas et son entourage en sont les responsables. Et son arrestation est rapportée par les évangiles de Marc et de Matthieu à l’aide d’un même verbe et d’un même mouvement de Jésus : « Après que Jean eu été livré, Jésus vint en Galilée. » (Mc 1,14; Mt 4,12). Le même verbe sera repris pour parler de l’arrestation de Jésus. Ce procédé littéraire a pour objectif de montrer que l’activité et la prédication des deux hommes sont liées à la venue du Règne de Dieu, une espérance que Jean le Baptiste et Jésus de Nazareth ont ravivée dans la population juive. S’il est difficile d’évaluer les implications politiques de la prédication du Baptiste, l’œuvre de l’historien juif permet de croire que le tétrarque a décelé une menace de cet ordre et qu’il valait mieux, pour maintenir son pouvoir, éliminer le prophète judéen.
Sylvain Campeau est bibliste et responsable de la rédaction.
[1] L’évangile selon Jean est écarté du dossier car il évoque son emprisonnement (3,24) sans en donner les raisons.
[2] Un tétrarque est le dirigeant de l’une des quatre parties d’un royaume. À la mort d’Hérode le Grand, ses fils ont hérité du royaume de leur père mais les Romains l’ont divisé en quatre parts. Hérode Antipas a hérité de la Galilée et de la Pérée (région située au nord-est de la mer Morte, à l’est du Jourdain). Il a régné de 4 av. J.-C. à 39.
[3] Les citations des Antiquités juives viennent de Flavius Josèphe. Un témoin juif de la Palestine au temps des Apôtres. Paris, Cerf (Documents autour de la Bible), 1981, Supplément au Cahiers Évangile 36, p. 50-51.