(photo : Kai Pilger / Unsplash)
La séparation entre juifs et premiers chrétiens
Sylvain Campeau | 9 avril 2018
J’aimerai savoir pourquoi et à quels moments les premiers chrétiens ont dû rompre avec les pratiques juives? (Franck)
Rappelons d’abord que Jésus et les premiers chrétiens étaient d’origine juive et attachés à leurs traditions. Le mouvement chrétien naissant était donc bien ancré dans l’héritage du judaïsme de son époque. La séparation n’est survenue que tardivement et de manière progressive.
Les premiers chrétiens issus du judaïsme ont conservé plusieurs pratiques de leurs traditions. Ils ont, par exemple, continué de fréquenter le Temple et les synagogues comme en témoignent plusieurs passages du Nouveau Testament. La circoncision était pratiquée et on s’est demandé s’il fallait l’imposer aux nouveaux convertis provenant du monde païen. Cette question est à l’origine d’une crise où la communauté chrétienne a pris ses distances devant cette exigence de la Loi (voir Actes 15).
Le judaïsme du premier siècle
Le judaïsme d’avant 70 était structuré autour de deux pôles : le Temple et la Loi. Mais il était diversifié au niveau des groupes qui le composaient : sadducéens, pharisiens, esséniens, baptistes, zélotes, etc. Et tous ces groupes avaient une manière différente de se situer par rapport aux deux piliers du judaïsme de cette époque. Une dernière donnée est importante à considérer pour comprendre l’évolution du judaïsme : il ne se limitait pas au territoire de la Palestine mais englobait une large diaspora où se développa l’institution synagogale.
Après la catastrophe de 70, le Temple est détruit et les Juifs sont chassés de Jérusalem par l’armée romaine. Malgré la disparition de l’un des pôles qui le caractérisait, le judaïsme va se restructurer sous la gouverne du parti pharisien et sous l’impulsion de Yohannan ben Zakkai, seul membre du Sanhédrin à avoir survécu à l’insurrection romaine. Ce rabbin reçoit de l’empereur Vespasien l’autorisation de fonder à Jamnia une école de scribes et un tribunal qui joua le rôle du Sanhédrin.
L’Assemblée de Jamnia
Quand on parle de la rupture du christianisme et du judaïsme, on fait souvent référence à un événement qui est survenu à la fin premier siècle : un rassemblement de sages pharisiens à Jamnia (Yabneh). Et on attribue à ces sages la reformulation de la Prière des dix-huit demandes que les Juifs sont invités à prononcer trois fois par jour, aux heures de l’ancien culte du Temple. Cette prière comprend une malédiction contre les minim, les hérétiques en général et particulièrement les judéo-chrétiens. Cette prière aurait donc contribué à l’exclusion des judéo-chrétiens de la synagogue.
Quelque soit la valeur historique de cette hypothèse, il est clair que les judéo-chrétiens ont été chassés de la synagogue après la ruine du Temple. Quand Matthieu utilise l’expression « vos synagogues » (Mt 23,34) ou « leurs synagogues » (Mt 4,23 ; 9,35 ; 12,9 ; 10,17 ; 13,54), il parle d’un processus d’exclusion qui est en marche ou même terminé et la situation est ressentie de manière douloureuse par les membres de la communauté à laquelle son évangile est destiné. Et quand on sait que c’est le parti pharisien qui dirigeait les nouvelles institutions du judaïsme à l’époque de la rédaction de l’Évangile selon Matthieu, on comprend mieux toutes les paroles placées dans la bouche de Jésus contre ces frères juifs qui étaient devenus des opposants.
Les raisons de la séparation
Le judaïsme reposait sur la Loi et le Temple avons-nous dit en introduction. Quel a été l’attitude de Jésus devant la Loi et le culte sacrificiel du sanctuaire national ? Les raisons de la séparation trouvent probablement leur origine dans la prédication de Jésus et le geste prophétique qu’il a posé au Temple en chassant les marchands (Mc 11,1-19 et parallèles). Devant la rigidité de la Loi et des règles de pureté rituelle, Jésus a souvent fait preuve d’une étonnante liberté. Et son intervention au Temple peut être comprise comme une illustration de la caducité du culte sacrificiel : la présence du Royaume de Dieu, cœur de sa prédication, rend vaine cette médiation. Et le sens que l’Église primitive a donné à la mort de Jésus accentue la séparation avec le judaïsme : « le Christ, notre Pâque, a été immolé » (1 Co 5,7). Pour le mouvement chrétien naissant, la Loi ne conduit pas au salut. C’est par l’adhésion au message et à la personne du Ressuscité que nous sommes sauvés.
Diplômé de l’Université de Montréal, Sylvain Campeau est bibliste et responsable de la rédaction.
Pour approfondir le sujet, lire : Christian Grappe, « La séparation entre juifs et chrétiens à la fin du premier siècle : circonstances historiques et raisons théologiques », Études théologiques et religieuses 80/3 (2005) 327-345.