Déportés judéens après le siège de Lakish. Relief du palais de Ninive. British Museum, Londres (Wikimedia).
Les grandes périodes de l’histoire de l’Ancien Testament
Francis Daoust | 4 novembre 2016
Dans l’Ancien Testament, l’histoire du peuple d’Israël se déploie sur quelques millénaires qui traversent des époques fort différentes. Toutes ces époques ont marqué le peuple de Dieu de manière différente, car les enjeux et le cadre politique et culturel n’étaient pas les mêmes. Ils n’ont pas non plus la même valeur historique, car certains récits appartiennent davantage au mythe et à la légende tandis que d’autres se situent dans un cadre historique connu et attesté par des sources extérieures au texte biblique. Les auteurs bibliques ont cependant donné à ces différentes périodes leur propre touche et ont proposé leur propre interprétation. On peut diviser cette longue histoire en huit périodes distinctes.
1. L’ÉPOQUE MYTHIQUE est couverte par les récits de Genèse 1-11. On y retrouve les deux récits de la création, celui en six jours et celui du jardin d’Éden, l’histoire de Caïn et Abel, le récit du déluge, celui de la tour de Babel et de nombreuses généalogies. Il s’agit de récits mythiques, qui n’ont pas pour but de raconter des événements précis, mais plutôt d’expliquer le sens de réalités fondamentales pour l’être humain : la place de l’humanité dans l’univers, la nature du péché, le fait que l’homme parle différentes langues. Ces épisodes ne sont évidemment pas datés dans la Bible. En utilisant le texte de 1 R 6,1, qui mentionne que Salomon entreprit la construction du temple de Jérusalem 480 ans après la sortie d’Égypte, il est possible de situer les événements rapportés en Gn 1-11 de 3760 à 2166 av. J.-C. La création du monde en 3760 av. J.-C. est évidemment une date symbolique qui est cependant employée par les juifs comme point de référence pour leur datation des années, comme les chrétiens le font avec la date supposée de la naissance du Christ. Le début de l’année juive arrive avant notre mois de janvier et les juifs célébraient donc en octobre 2016 l’arrivée de l’année 5777 (3760 + 2017).
2. LA PRÉHISTOIRE D’ISRAËL s’étend, selon la même chronologie symbolique, de 2166 à 1446 av. J.-C. Cette période couvre ce qui précède la sortie d’Égypte. Elle comprend l’histoire des patriarches Abraham, Isaac, Jacob et Joseph contenue en Gn 12-50. L’historicité de ces personnages est incertaine. Peut-être s’agit-il d’ancêtres dont le souvenir s’est transmis de manière orale pendant des siècles? Les récits de leurs aventures demeurent cependant pertinents pour les juifs et les chrétiens, car ils transmettent de nombreux enseignements théologiques en racontant la relation personnelle que ces personnages tissent avec un Dieu qui vient à leur rencontre.
3. L’EXODE ET LA CONQUÊTE sont rapportés dans les livres de l’Exode, du Lévitique, des Nombres, du Deutéronome, de Josué et des Juges. Le livre de l’Exode s’ouvre en Égypte et c’est à ce moment que commence l’histoire du peuple d’Israël pour ainsi dire, car auparavant, Dieu était entré en relation avec des individus. La libération d’Égypte est l’événement central de la foi juive. Il est ce grand moment où Dieu se manifeste avec puissance afin de sauver son peuple et que les juifs célèbrent à chaque année lors de la Pâque. Il n’est donc pas surprenant que les rédacteurs du Nouveau Testament situent dans le cadre de cette fête le récit de la mort et de la résurrection de Jésus, qui est à l’origine de la Pâques chrétienne. Cette période se termine avec la conquête de la Terre Promise telle que narrée dans les livres de Josué et des Juges. Cette longue période s’étendrait de 1446 à 1039 av. J.-C. Les chercheurs éprouvent cependant beaucoup de difficulté à trouver la corroboration historique de ces événements, car on ne trouve aucune trace, nulle part dans les documents des peuples avoisinants, d’une sortie d’esclave de grande envergure hors de l’Égypte et d’une installation massive d’immigrants en Palestine.
4. L’ÉPOQUE DU ROYAUME UNIFIÉ raconte l’histoire des rois Saül, David et Salomon qui régnèrent, depuis Jérusalem, sur l’ensemble de la Palestine sur une période s’étendant de 1039 à 931 av. J.-C. Cette saga est rapportée dans les deux livres de Samuel et dans les onze premiers chapitres du premier livre des Rois. On peut aussi rattacher à cette période le livre des Psaumes puisqu’on attribue à David la rédaction de la moitié des 150 chants qu’il contient et aussi le livre de Job, le Cantique des cantiques, le livre de la Sagesse et le Siracide (aussi nommé Ecclésiastique), puisqu’on accorde à Salomon, le grand sage, la paternité littéraire de ces écrits de sagesse. Les recherches archéologiques ont révélé que Jérusalem n’était à l’époque qu’un petit village de montagne et que ces rois n’ont pas pu régner sur le grand empire somptueux dont parle la Bible. C’est cependant en lien avec cette époque que se trouve la première intersection avec des sources extérieures à la Bible. La stèle de Tel Dan, découverte en 1993 et 1994, et datant du 9e siècle av. J.-C. fait en effet mention de la « maison de David », c’est-à-dire la dynastie de David.
5. LA PÉRIODE DES DEUX ROYAUMES s’étend de 931 à 587 av. J.-C. et est racontée en 1 Rois 12-22 et 2 Rois. On peut également y rattacher les prophètes Jonas, Amos, Osée, le premier Isaïe (Is 1-39), Jérémie, Nahum, Habaccuc et Sophonie. La Bible raconte que, suite à l’égarement du roi Salomon, Dieu divisa son empire en deux parties : le royaume du nord (Israël) qui est détruit en 721 av. J.-C. par les Assyriens et le royaume du sud (Juda) qui est anéanti par les néo-babyloniens en 587 av. J.-C. Les sources extérieures à la Bible qui témoignent des événements marquants de cette période sont nombreuses. Plusieurs rois d’Israël et de Juda dont il est question dans la Bible sont mentionnés dans les archives royales égyptiennes et mésopotamiennes. Les fouilles archéologiques ont cependant révélé que ces deux royaumes ont toujours existé de manière indépendante, questionnant ainsi le récit de Salomon et l’existence du grand empire qu’il gouvernait. Ces recherches ont également démontré que les auteurs de la Bible jettent un regard particulier sur la valeur des rois de ces deux royaumes. Pour eux, les bons rois ne sont pas ceux qui ont favorisé le développement de leur royaume ou contribué à leur prospérité, mais plutôt ceux qui ont été fidèles à Dieu et ont rejeté les divinités étrangères.
6. L’EXIL est l’événement le plus marquant de l’histoire du peuple d’Israël dans l’Ancien Testament. Après s’être rebellé contre le nouvel empire babylonien, Jérusalem est assiégée, prise et détruite. Le temple de Yahvé est incendié et l’élite du peuple est emportée à Babylone. Le peuple de Dieu a tout perdu et se sent abandonné par Dieu. Il relit son histoire à la lumière des avertissements des prophètes et comprend que ce désastre est un châtiment divin, conséquence de l’agir mauvais du peuple et de son idolâtrie. C’est un moment de profond désarroi, de grande détresse et de dure souffrance. Mais c’est aussi un temps de réflexion privilégié où le peuple, plutôt que de se laisser abattre et assimiler, s’est questionné, a relu son histoire, s’est redéfini et s’est relevé. De cette horrible épreuve a jailli une foi renouvelée, fortifiée et approfondie. L’exil fut relativement bref et s’est étendu sur à peine deux générations, de 587 à 540 av. J.-C. On y situe l’activité prophétique du deuxième Isaïe (Is 40-55), d’Ézéchiel et de Daniel.
7. LA PÉRIODE POSTEXILIQUE PERSE est un temps favorable pour le peuple d’Israël. Cyrus le Grand, après avoir défait les néo-babyloniens, adopte une politique de relative autonomie pour les nombreuses nations qu’il gouverne. Les Perses encouragent le retour des exilés juifs dans leur terre natale et la reconstruction du temple de Jérusalem. C’est une longue période de paix relative qui s’ouvre pour le peuple juif. C’est à époque qu’on situe l’action des livres d’Esdras, de Néhémie et d’Esther et l’activité des prophètes Aggée, Zacharie, possiblement Joël, Abdias, Malachie et le troisième Isaïe. Cette période, débutée en 540 av. J.-C. se termine avec la défaite de Darius III aux mains d’Alexandre le Grand en 330 av. J.-C.
8. LA PÉRIODE POSTEXILIQUE GRECQUE ébranle fortement le peuple juif. Tous les conquérants qui avaient dominé sur eux jusqu’à date étaient des sémites ou des peuples du Proche-Orient ancien. Mais les Grecs sont différents. Leur manière de penser et leur mode de vie est foncièrement différent. Différent et très attrayant pour de nombreux juifs qui se sentent attirés par cette nouvelle culture. S’ouvre une période de confrontation, aux niveaux politique, militaire et intellectuel. Les juifs s’assureront durant cette période de faire valoir leur propre tradition aux yeux des leurs et de ces étrangers. C’est à cette époque que se situent les événements rapportés dans les deux livres des Maccabées. Cette période se termine en 63 av. J.-C. avec la prise de Jérusalem par le consul romain Pompée, ce qui nous amène au seuil du Nouveau Testament.
Francis Daoust est bibliste et directeur de la Société catholique de la Bible (SOCABI).