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Répertoire de récitatifs bibliques : une bibliothèque intérieure

Hélène Pinard Hélène BoudreauHélène Pinard et Hélène Boudreau | 30 mai 2022

Les fruits de la discipline du récitatif biblique se manifestent à long terme. Le fait de connaître un vaste répertoire de récitatifs procure l’avantage de faire plus de liens, d’approfondir et d’intégrer la Parole dans le vécu intérieur dans diverses circonstances.

La pratique maintes fois reprise du récitatif biblique offre une façon unique et authentique d'aller à la rencontre de la Parole intellectuellement (savoir), corporellement (savoir-faire) et spirituellement (savoir-être). C’est une ressource accessible en tout temps et en tout lieu, parce que la Parole est imprimée dans le corps.

 Au fil des expériences vécues avec les récitatifs, voici quelques avantages décelés :

  • Des liens se font entre les récitatifs.
  • La couleur d’un évangile en particulier ressort : structure, répétitions, insistances, thèmes récurrents.
  • La relation avec le Seigneur s’approfondit.
  • Un travail intérieur face à certaines blessures se fait imperceptiblement mais réellement.

La réflexion qui suit est axée sur les trois volets qui caractérisent la démarche proposée par la discipline du récitatif biblique : le savoir-faire, le savoir et le savoir-être.

Savoir : questions et liens pour aller de l’avant

En complément aux outils habituellement utilisés en étude biblique (notes, dictionnaires, traductions, commentaires, outils informatiques, etc.), la discipline du récitatif biblique constitue une ressource particulière pour s’approcher du sens d’un texte biblique.

Le fait de connaître plusieurs récitatifs peut agir comme une étincelle lorsqu’on s’approprie un nouveau récitatif. Souvent, des liens apparaissent là où on ne les attendait pas.

Les répétitions autant à l’intérieur d’une péricope que dans l’œuvre complète de l’auteur sont un élément important pour découvrir un chemin tracé par les évangélistes. Ainsi, en processus d’appropriation du récitatif de Luc 8,40-56 [1], l’utilisation chez Luc de l’expression « ce qui était arrivé » à la fin du v. 56 ravive la mémoire d’autres récitatifs déjà appris.

En vérifiant, nous découvrons que Luc 24,12 contient cette locution. C’est après la résurrection quand Pierre court au tombeau. « Étant entré, il ne voit que les bandelettes. Il s’en retourna chez lui, s’étonnant de ce qui était arrivé. » [2] Continuant de réfléchir aux récitatifs connus, le texte des bergers (Lc 2,15) la contient également : après l’annonce faite par l’ange, les bergers vont vérifier cette « parole qui vient d’arriver ».[3]

Pourquoi Luc utilise-t-il cette expression au début et à la fin de son évangile?
Est-ce une façon de favoriser un retour sur les expériences vécues, ce que nous appelons aujourd’hui, une relecture de vie?

La curiosité aidant, les recherches se continuent à partir du commentaire : Jésus, Parole de la Grâce, selon saint Luc [4]. On y lit que l’expression est aussi présente dans le chapitre 8, versets 34 et 35 de ce même évangile dans lesquels on relate la guérison d’un possédé en terre étrangère.

Est-ce que ce sont les seules occurrences? Est-ce là un élément qui structure le texte? Qu’est-ce que cela ajoute à la compréhension du texte qui est sur la table de travail?

La recherche dans les ressources habituelles contribuera à donner des éléments de réponse à ces questions. Elle servira de guide pour le choix des gestes, puisque nous portons une attention spéciale à ce qui peut permettre de faire des liens lors de l’apprentissage.

Savoir-faire : les gestes comme source d’approfondissement

Pour les appreneurs, le savoir-faire, c’est-à-dire l’apprentissage des paroles, de la mélodie et des gestes du récitatif, permet d’aller à la rencontre du savoir. Ceci est nécessaire pour appréhender le sens objectif d’une péricope.

Pour cette raison, dans chaque récitatif, le choix des gestes est source de défi. Les gestes doivent être signifiants et cohérents avec les utilisations faites non seulement dans la péricope mais aussi dans d’autres récitatifs existants. Ils permettent de faire, en cours d’apprentissage, des liens avec d’autres extraits bibliques connus des appreneurs.

Dans l’exemple de Luc 8,40-56 cité plus haut, il y a aussi des répétitions à l’intérieur même de la péricope qui permettraient de découvrir une nuance particulière. Ainsi, le fait de physiquement réitérer un geste ne peut que rendre évidentes les répétitions de mots clés.

En cours d’apprentissage, l’expression « à l’instant même » attire l’attention. Pourquoi la répéter trois fois? Qu’est-ce qui arrive « à l’instant même »? En quoi cette expression relie-t-elle les deux événements de la guérison de la femme hémorroïsse et le réveil de la petite fille imbriqués dans la même péricope? Y a-t-il des traits communs avec d’autres récitatifs où elle apparaît?

Un exemple a été vécu par un groupe lors de la session Passion 2021 avec le récitatif de Luc 23,26-31 : « Quand ils l’emmenèrent, ils prirent un certain Simon de Cyrène… » [5]

Alors que le groupe apprend ce récitatif, on arrête sur le geste pour : « Heureuses les stériles » (v. 29). Naturellement, le geste rappelle celui des Béatitudes : « Heureux les pauvres.., heureux ceux qui pleurent… » (Lc 6,21). [6]

Une fois encore, le groupe réfléchit à ces étranges béatitudes. Quel message Jésus veut-il laisser à ses disciples? Quel message nous laisse-t-il aujourd’hui?

Savoir-être : arrêts sur gestes

Les arrêts sur gestes permettent d’aller plus loin dans le sens subjectif de la Parole, dans l’intégration de la Parole en soi. Il ne s’agit pas seulement de comprendre les mots et expressions du récitatif mais aussi de les expérimenter dans le corps, de les intégrer au vécu, de favoriser la rencontre de la Parole avec notre histoire personnelle.

Lorsqu’un arrêt sur geste se vit, les récitantes s’attardent au ressenti corporel, au mouvement intérieur qui est déclenché. Souvent, le ressenti se situe dans une continuité d’autres arrêts sur gestes vécus auparavant.

Chez les récitantes qui connaissent le récitatif des Béatitudes, le rapprochement des Béatitudes avec les femmes à qui Jésus dit : Heureuses les stériles (Lc 23,26-31) agit comme une mémoire vive. Cela ne rappelle-t-il pas qu’on peut donner du sens à des moments de vie plus souffrants? N’invite-il pas à expérimenter une nouvelle fois que la Parole est agissante et peut remettre en marche?

Avec le temps, s’installe une confiance dans le processus intérieur qui se joue souvent sans trop en prendre conscience. Plus on imprime en soi la Parole, plus on a confiance, plus on avance. On est dans une pratique pour la vie.

Une bibliothèque intérieure

Dans la discipline du récitatif biblique, la Parole n’est pas seulement étudiée intellectuellement. Elle ouvre, grâce à son impression dans le corps, des chemins de vie et nourrit une relation avec le Maître de la Parole, le Verbe fait chair. L'interaction entre les trois volets du récitatif (savoir-faire, savoir, savoir-être) permet d’aller plus loin dans l’approfondissement et l’intégration d’une Parole.

Avoir un répertoire de plusieurs récitatifs, c’est posséder une bibliothèque intérieure ouverte 24 heures sur 24 qu’on peut consulter en tout temps. La Parole agit en nous comme un révélateur de la présence du Seigneur encore à l’œuvre aujourd’hui.

Hélène Pinard, FCSCJ, est bibliste et transmetteure de l’Association canadienne du récitatif biblique. Hélène Boudreau est aussi transmetteure de l’Association.

[1] Luc 8, 40-56 « Comme Jésus s’en retournait… » est en cours de création par Hélène Pinard et Hélène Boudreau.
[2] Louise Bisson, 1986.
[3] Marcel Jousse.
[4] Philippe Bossuyt et Jean Radermakers, Jésus, Parole de la Grâce, selon saintLuc : lecture continue, vol 2, Institut d’études théologiques, Bruxelles, 1981 p. 228.
[5] Louise Bisson 2002.
[6] Louise Bisson 1994.

Jousse

Récitatif biblique

L'Association canadienne du récitatif biblique propose une chronique mensuelle pour comprendre la discipline spirituelle qui rassemble ses membres. Axée sur la Parole et sur son effet sur l'ensemble de la personne, le récitatif biblique est une forme de méditation où tous les sens sont sollicités.