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LIVRES

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ISBN : 9782709628501

 

 

Judas le bien-aimé
Gerald Messadié
Paris, JC Lattès, 2007, 307 p.

Après Jésus (L'homme qui devint Dieu, 1988), Paul (L'incendiaire : vie de Saül, apôtre, 1991) et Marie-Madeleine (L'affaire Marie-Madeleine, 2005), voici que Messadié s'intéresse au personnage de Judas en lui consacrant un roman qui, sans être aussi prétentieux dans sa facture que L'homme qui devint Dieu, n'en répète pas moins les thèses bien connues de cet érudit, qui fait feu de tout bois pour consumer les idées reçues du christianisme. La sortie du livre bénéficie évidemment de l'engouement suscité par la large diffusion de l'Évangile de Judas depuis plus d'un an. D'emblée, j'avoue qu'il s'agit d'une lecture fort divertissante qui a le mérite de susciter des questions légitimes sur le disciple mal aimé. Le lecteur peu averti devra cependant prendre garde à ne pas accorder trop de crédibilité historique à ce roman fictif, même si l'auteur expose en postface les raisonnements – qui ne sont pas des preuves recevables – soutenant ses principales idées.

    L'histoire, racontée selon le point de vue de Judas, se veut un nouveau récit de la Passion, débutant avec l'entrée de Jésus à Jérusalem et se terminant avec la mort de Judas. La version johannique de ces événements aura certes laissé des traces dans le texte, mais on devine immédiatement la préférence de l'auteur pour les traditions apocryphes et gnostiques, empruntées en bonne partie aux évangiles de Thomas et de Judas, auxquelles s'ajoute le recours à une imagination débordante lorsqu'il s'agit de combler les innombrables blancs laissés par la littérature ancienne. Du reste, Messadié ne se gêne pas pour corriger la tradition reçue quand elle ne satisfait pas à sa vision de l'histoire. Dans cet effort de réécriture, le romancier ne se contente pas de retisser selon un nouveau canevas les éléments de la tradition primitive, mais remet du même coup sur le métier les idées qui ont fait sa renommée : un Jésus, jadis essénien, qui a survécu à la croix et fut en quelque sorte divinisé suite à la rumeur de sa résurrection; un Saül (Paul), chef de la milice du Temple et pas très versé dans la doctrine juive, qui exécute les ordres de Caïphe en présidant à l'arrestation de Jésus; et l'épouse secrète de Jésus, Marie-Madeleine, qui organise le plan pour libérer Jésus de la croix avant qu'il n'y rende l'âme.

    Judas sera toujours un personnage fascinant et il faudrait être bien naïf pour croire que les évangiles canoniques en dressent un portrait neutre et fidèle. Son cheminement spirituel jusqu'au sein des Douze, sa conception du ministère et de la personne de Jésus, ainsi que les raisons qui l'ont poussé à livrer son maître ne nous seront sans doute jamais connus. L'obstacle disparaît sous la plume habile de Messadié, qui dresse un portrait intime et touchant de l'apôtre controversé, le rend proche du lecteur par ses pensées, ses sentiments, sa misère et ses souffrances; certains succomberont même à l'empathie programmée entre les lignes. Malheureusement, l'écrivain pousse trop loin son effort de réhabilitation. On peut questionner à bon droit le portrait canonique de Judas, mais il revient à la pure fiction d'en faire le disciple bien-aimé, le seul des Douze qui a compris Jésus, ayant partagé avec lui la fusion extatique avec l'Esprit purificateur durant leurs années communes au sein du mouvement essénien. Le lien spirituel qui l'unit à son maître est si fort qu'il reçoit dans sa chair les blessures de la flagellation et de la crucifixion. Suivant une lecture répandue mais fautive de l'Évangile de Judas, c'est Jésus qui lui aurait ordonné de le livrer, pour que s'accomplisse le sacrifice qui devait susciter la colère de Yahvé contre les adorateurs du Créateur, qui n'est pas le véritable Père.

    C'est un terrain connu que les familiers de Messadié arpenteront avec Judas le bien-aimé. Les nouveaux venus auront de nombreuses surprises, surtout s'ils considèrent en parallèle les récits canoniques de la Passion. Mais le divertissement est assuré, ne serait-ce que pour voir au travail la moulinette de l'auteur, qui broie tout ce qu'elle prend aux récits du Nouveau Testament … à condition d'en assumer le genre littéraire : un roman de fiction. Et si Judas n'avait pas fini de nous étonner!

Pierre Létourneau
Université de Montréal

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