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LIVRES

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ISBN : 2-226-11674-5

Avec Le Visiteur, Variations énigmatiques et Le Libertin, Éric-Emmanuel Schmitt compte parmi les plus grands auteurs dramatiques contemporains.

Site officiel :
www.eric-emmanuel-schmitt.com

L'Évangile selon Pilate
Eric-Emmanuel Schmitt
Albin Michel, 2000, 334 p.

     Il y a un peu plus de deux mille ans en Palestine, un vendredi après-midi, un dénommé Yéchoua (Jésus) meurt sur une croix et est enseveli dans un tombeau près de Jérusalem. Le dimanche matin suivant, son corps a disparu. Il faut le retrouver. Pour Pilate, préfet de Judée, il s’agit d’une simple petite enquête de routine qui se réglera rapidement et lui permettra un repos bien mérité à Césarée, après une Pâque fort mouvementée à Jérusalem. Mais, surprise, l’enquête réserve plein de rebondissements inattendus à Pilate, qui se charge d’en raconter les moindres détails, en plus de ses états d’âme, à son frère Titus demeurant à Rome. Voilà la trame de fond du dernier roman d’Éric-Emmanuel Schmitt, surtout connu pour sa pièce de théâtre Le Visiteur mettant en scène Dieu et Freud.

     Les évangiles sont plutôt muets sur les réactions des diverses autorités civiles et religieuses suite à la disparition du corps de Yéchoua et à la rumeur de sa résurrection. Pour combler cette absence, Schmitt vient nous proposer une vision personnelle et audacieuse de ces événements dans un roman très fouillé qu’il a mis huit ans à écrire. Il nous convie à une sorte de thriller à saveur historique qui nous présente Yéchoua et Pilate sous un regard différent de celui auquel nous sommes habitués.

     La force du roman tient particulièrement à l’évocation du climat politico-religieux de l’époque très bien rendu par l’auteur. C’est ainsi que Schmitt a choisi de conserver les noms juifs des principaux protagonistes, afin de balayer tous les a priori que vingt siècles d’histoire nous ont laissés sur les personnages des évangiles. De même, ces personnages sont présentés dans toute leur humanité, tant avec leurs côtés lumineux (Yéhoûdâh n’est pas le traître que l’on pense), que leurs côtés plus sombres (Yoseph d’Arimathie éprouve de la jalousie parce que Yéchoua ressuscité apparaît à d’autres, mais pas à lui).

     Le roman s’ouvre sur un prologue substantiel intitulé : « Confessions d’un condamné à mort le soir de son arrestation. » Par le biais de son journal intime, le lecteur apprend à mieux cerner qui est ce Yéchoua dont la disparition du corps suscite tant d’émois. Il se présente d’abord comme un enfant éveillé qui se pose plein de questions sur la vie, sur l’amour, sur son avenir. Un peu comme nous tous à un moment ou l’autre de notre vie ! À la mort de son père, il devient tout naturellement menuisier, puis passe proche de se marier, mais le destin en décide autrement et le conduit, après un cheminement tortueux, à faire le pari qu’il est bel et bien le Messie attendu des Juifs. Plusieurs ont reconnu en lui l’Élu de Dieu qui prêche l’amour et une libération intérieure. Malgré les doutes qui subsistent, Yéchoua se donne à fond dans cette mission qu’il n’a pas vraiment choisie. Ce prologue nous fait revivre quelques épisodes des évangiles du point de vue de Yéchoua qui prend bien soin de les replacer dans leurs contextes. Un point de vue qu’on pourrait parfois qualifier d’iconoclaste, mais qui pourtant suscite un questionnement propre à mieux éclairer notre foi.

     Dans L’évangile selon Pilate proprement dit qui suit le prologue, le lecteur retrouve en Pilate un homme auquel il peut aisément s’identifier. Ce personnage, qui n’a pourtant pas la part très belle dans les évangiles, nous apparaît sous un jour sympathique dans sa manière pleine de bon sens et de réalisme de vouloir percer le mystère de la disparition du corps de Yéchoua. Confronté à un choc culturel majeur dans ce monde juif en pleine ébullition, si éloigné de l’ordre romain, Pilate s’accroche à toutes les hypothèses inimaginables pouvant expliquer ce mystère, mais à chaque fois il doit se rendre à l’évidence qu’il se trouve sur une fausse piste. Cette quête donne lieu à des péripéties qui réjouiront le lecteur familier avec les évangiles, dont un cours sur les effets physiques de la crucifixion! En plus d’assister à la confrontation de Pilate avec des personnages bibliques connus, tels que Yohanân (l’apôtre Jean), Nicodème, Hérode Antipas ou Myriam de Magdala, nous rencontrons toute une galerie de personnages fourmillant autour du pouvoir romain et plus colorés les uns que les autres. Ceux-ci témoignent de l’impression laissée par Yéchoua à la population de l’époque. En toile de fond, on découvre aussi le profond amour qui unit Pilate à sa femme Claudia Procula, malgré son incompréhension face à la conversion de celle-ci au message libérateur de Yéchoua. C’est cet amour qui poussera finalement Pilate à aller la rejoindre sur la route du soi-disant ressuscité.

     Mais quel est le fil conducteur entre ces deux témoignages, celui de Yéchoua et celui de Pilate? Le doute ou l’absence de certitudes. Chez Yéchoua, le doute se manifeste par un questionnement continu sur sa propre nature, la nature de sa mission, les liens avec son Père. Alors que pour Pilate, le doute s’installe petit à petit lorsqu’un monde qu’il croyait connaître et contrôler lui échappe. Au fur et à mesure de son enquête afin de retrouver le corps de Yéchoua, Pilate rencontre des hommes et des femmes qui ont côtoyé Yéchoua, qui ont été transformés par lui, et qui à leur tour transformeront Pilate pour en faire, comme le suggère sa femme, le premier chrétien. De la même façon que c’est par le biais de ses échanges avec les gens proches de lui que Yéchoua en est venu à mieux saisir et accepter le sens de sa mission et de son sacrifice, c’est par ses échanges avec les témoins de Yéchoua que Pilate découvrira la richesse du doute qui peut nous entraîner à ouvrir nos yeux vers de nouveaux horizons.

Nous savons que chacun des quatre évangiles a été écrit pour une communauté chrétienne particulière. Par exemple, Matthieu a rédigé son évangile pour les judéo-chrétiens de Palestine, alors que Luc l’a composé pour les pagano-chrétiens. À qui est destiné cet évangile selon Pilate? Probablement à nous, chrétiens occidentaux du début du XXIe siècle, afin de nous rappeler que, malgré nos prétendues certitudes, nous avons encore besoin de Dieu…

Bernard Lemieux

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