|
Pourquoi maudire un figuier?
Marc 11, 12-14. 20-21
Jésus et le figuier stérile
Enluminure d'un manuscrit arabe
Égypte, circa 1684
Évangiles, Ms. W. 592, fol. 58a
(photo : The Digital Walters)
Le lendemain de son entrée triomphale à Jérusalem, Jésus a faim et semble se venger sans raison sur un pauvre figuier sans fruits.
Le lendemain, à leur sortie de Béthanie, il eut faim. Voyant de loin un figuier qui avait des feuilles, il alla voir s’il n’y trouverait pas quelque chose. Et s’étant approché, il ne trouva que des feuilles, car ce n’était pas le temps des figues. S’adressant à lui, il dit : « Que jamais plus personne ne mange de tes fruits! » Et ses disciples écoutaient [...]
En passant le matin, ils virent le figuier desséché jusqu’aux racines. Pierre, se rappelant, lui dit : « Rabbi, regarde, le figuier que tu as maudit est tout sec. » Jésus leur répond et dit : « Ayez foi en Dieu. En vérité, je vous le déclare, si quelqu’un dit à cette montagne : “Ôte-toi de là et jette-toi dans la mer”, et s’il ne doute pas en son cœur, mais croit que ce qu’il dit arrivera, cela lui sera accordé. C’est pourquoi je vous déclare : tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l’avez reçu, et cela vous sera accordé. Et quand vous êtes debout en prière, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez, pour que votre Père qui est aux cieux vous pardonne aussi vos fautes. »
Marc 11,12-14.20-21 [1]
Jésus se servirait-il de ses pouvoirs de façon abusive et irrationnelle? L’évangile précise en effet que ce n’était même pas le temps des figues! Il est donc normal que Jésus n’en trouve pas sur l’arbre. Pourquoi maudit-il ce figuier? S’agit-il d’un simple caprice de sa part?
La fonction de ce récit est de provoquer les questions du lecteur ou de la lectrice. À première vue, Jésus ressemble ici à un sorcier redoutable qui fait ce qu’il veut. Marc ne cherche pas à cacher l’étrangeté de ce moment. D’ailleurs, la précision qu’il ne s’agit pas du temps des figues indique qu’il faut comprendre ce qui se passe comme un symbole. Qu’est-ce qui est symbolisé par ce figuier sans fruits que Jésus maudit et qui se dessèche?
La colère au Temple
Le récit du figuier stérile est séparé en deux : la narration commence avec les versets 12 à 14, et se termine avec les versets 20 et 21. Entre les deux, on retrouve la scène de la colère de Jésus au Temple (Marc 11,15-19).
Dans ces deux récits juxtaposés, Jésus est en colère. Pourquoi? Pour comprendre le récit du figuier, il faut voir dans le figuier un symbole du Temple. Son absence de fruits est l’image de la stérilité du Temple et des institutions juives. Comme il avait maudit le figuier, Jésus chasse les vendeurs du Temple et renverse leurs tables de change.
D’ailleurs, on trouve dans l’Ancien Testament des textes qui utilisent le symbole du figuier rendu stérile pour exprimer la colère de Dieu à l’égard de son peuple [2]. Voici celui qui est le plus proche du nôtre : « Je suis décidé à en finir avec eux – oracle du Seigneur –, pas de raisins à la vigne! pas de figues au figuier! le feuillage est flétri. Je les donne à ceux qui leur passeront dessus. » (Jérémie 8,13) Dans cet extrait, le prophète Jérémie s’adresse aux prêtres du Temple de Jérusalem. Il leur dit la colère de Dieu, qui les compare à un figuier flétri sans fruits. Il annonce qu’il laissera les passants écraser ce figuier. Dans ce contexte, ce figuier détruit annonce la destruction du Temple par les Babyloniens. Dieu laissera l’armée étrangère détruire le Temple à cause des infidélités de son peuple.
Dans l’évangile, le figuier stérile joue le même rôle symbolique. Les premiers chrétiens ont peut-être compris la destruction du Temple par les Romains, en l’an 70 [3], et la réponse négative de certains Juifs à leur prédication en utilisant l’image du figuier qui est détruit parce qu’il ne porte pas de fruits.
Le récit du figuier invite donc les disciples à passer d’un culte sclérosé, au Temple, à un nouveau culte à Dieu le Père. Jésus les invite à passer d’un Temple fait de mains d’hommes à un autre qui n’est pas fait de mains d’hommes (Marc 14,58). Le lieu saint n’est plus le Temple, mais le cœur des humains qui sont en communion avec Dieu.
[1] Ce récit est repris en Matthieu 21, 19-22.
[2] Voir Osée 9, 16-17; Joël 1, 7; Habaquq 31, 17 et Michée 7, 1.
[3] Après une révolte juive, en l’an 70, les Romains attaquent Jérusalem et détruisent le Temple.
Texte complet dans :
Mais d’où vient la femme de Caïn. Les récits insolites de la Bible
Sébastien Doane, Montréal, Novalis ; Paris, Médiaspaul, 2010.
Article précédent :
Une « sainte » famille?
|