chronique du 14 octobre 2011 |
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La Bible : texte altéré et corrompue ou texte vivant ?Est-ce que la Bible a été corrompue ou altérée avec le temps? (Catherine, Québec) Je ne suis pas certain que l’auteure de cette question se rende compte combien elle est compliquée. Je ne sais pas si j’ai raison de supposer en dessous d’elle tout ce que j’y suppose... Poser la question de la corruption ou de l’altération de la Bible suppose, en effet, une certaine vision de la Bible qui risque d’être erronée dès le point de départ. C’est que, dès l’abord, la Bible est plurielle. Même si le mot « bible » signifie étymologiquement « livre », la Bible est bien plus une bibliothèque de livres fort différents quant à l’époque, le milieu social, et fort divers quant aux idées religieuses. En partant, donc, la Bible est plurielle. Il y a des textes sacerdotaux, des textes provenant d’aristocrates, des textes plus populaires. Les idées reflétées par ces textes sont donc tantôt plutôt conservatrices, tantôt plutôt libérales, avec tout ce qu’il y a entre les deux. Il y a aussi de très nombreux textes politiques. Les idées ont aussi évolué pendant les siècles où elle a été écrite et transmise. Quand on me dit que la Bible dit ceci ou cela, je puis habituellement trouver un autre passage qui, s’il ne dit pas franchement le contraire, relativise du moins la première affirmation. Les textes bibliques ne prétendent donc pas donner des réponses toutes faites, automatiques, qui dispenseraient les croyants de penser ou de réfléchir. C’est ainsi, par exemple, que des réponses à de nombreux problèmes contemporains (en bioéthique, par exemple) ne se trouvent pas directement dans la Bible. Les y rechercher relève de la naïveté et d’une mauvaise conception de la Bible. Les textes bibliques donnent des principes interprétatifs permettant aux humains d’affronter toutes les situations et tous les problèmes, mais ne donnent pas toutes les réponses. La liberté et l’intelligence humaines demeurent à l’œuvre dans la relation de foi. Si la question parle de la transmission du texte biblique, la réponse est encore complexe. Il n’y a pas, en effet, un seul texte biblique. Il n’y a pas vraiment de « langue originale ». Le texte hébreu de l’Ancien Testament, appelé « texte massorétique » est une révision tardive datant des premiers siècles de l’ère chrétienne. Très tôt, le texte biblique a été traduit et commenté. La plus ancienne traduction, la Septante grecque, a commencé au IIe siècle avant notre ère et contient d’innombrables différences, souvent mineures parfois majeures, avec l’hébreu. Par la suite, elle a été suivie d’autres traductions grecques plus ou moins concurrentes, dont certaines parties ont été intégrées dans la Septante. Les traductions latines, depuis la Vetus Latina jusqu’à la Vulgate, se posent dans les mêmes termes. On doit aussi compter les targums en araméens ainsi que les versions en langues très anciennes (syriaque, éthiopien, etc.). En critique textuelle, on parle de « familles » textuelles et on établit des généalogies de textes. À l’intérieur d’une même tradition, il n’y a pas deux manuscrits exactement pareils. On n’a qu’à consulter une édition critique du Nouveau Testament en grec pour se rendre compte des centaines de variantes. Le texte adopté est tout au plus un choix critique des spécialistes selon les critères de leur discipline. Que dire maintenant des traductions modernes? Quiconque a lu un même texte dans la TOB, la Bible de Jérusalem, la Bible Bayard, la Bible en français courant et la Bible en français fondamental – j’en passe –, se rend bien compte que tout dépend de l’expertise du traducteur, de son public cible, de la sensibilité de son époque, etc. Dans un sens, la Bible a toujours été altérée, mais elle est toujours restée la même, c’est-à-dire la Parole de Dieu aux humains. Le texte biblique a de tout temps été adapté, actualisé. La critique historique peut montrer comment un texte a subi des additions ou des changements au long des siècles. Ces changements ne sont pas des erreurs mauvaises qui « corrompent » le texte, mais des signes que la Bible est vivante. Un texte meurt rapidement à mesure qu’il ne s’applique plus aux circonstances qui l’ont vu naître. Aussi, les scribes anciens n’hésitaient-ils pas à corriger, ajouter, changer, non pas pour « corrompre » le texte sacré, mais justement parce qu’il était sacré, il devait s’adapter, s’actualiser, être parlant pour les lecteurs de chaque époque. C’est seulement à une époque très tardive que le texte, parce que sacré, s’est figé et n’a plus été touché. Mais ce sont alors les commentaires et les homélies qui ont commencé. C’est le même principe qu’avant, mais désormais à l’extérieur du texte. On voit donc combien la question de la corruption ou de l’altération du texte biblique n’est pas nécessairement une question juste. De tout temps, le texte biblique a été changé de diverses manières, tantôt moins bonnes, mais la plupart du temps de façon plutôt positive. Cela est très bon signe. Il ne faut pas oublier que, dans la tradition catholique, il y a deux sources de révélation : l’Écriture et la tradition interprétative. Autrement dit, d’une manière fort intelligente, l’Église catholique a toujours refusé d’être enfermée dans des textes qui ne seraient pas aussi interprétés, relus, actualisés et adaptés pour chaque époque ou chaque problème nouveau. On voit, en conclusion, que le texte biblique a toujours été vivant. Par les changements apportés dans le texte durant les siècles anciens, par la tradition interprétative dans les siècles suivants. Si un texte peut mourir en se figeant, cela ne peut pas arriver à la Bible justement parce que le texte est vivant. Loin d’être dérangeant ou déstabilisant, cela établit la pertinence éternelle de la Bible et son importance pour les croyants de toutes les époques. Article précédent : |
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